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Célyne Fortin, Femme fragmentée

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Je suis tombée sur le premier livre de Célyne Fortin dans une bouquinerie, un petit livre qui ne paie pas de mine, simple couverture de carton gris. Ce recueil nous parle de la femme, de son existence de femme, d’épouse, de mère… de ses satisfactions et insatisfactions. Il est divisé en trois sections: la première, “Femme”, contient dix-neuf poèmes; la deuxième, “Heures”, vingt-quatre; et la troisième, “Fragments”, vingt-cinq.

Le livre  contient aussi vingt-quatre dessins de l’auteur, imprimé en noir et blanc, et qui semble avoir été fait à la gouache si j’en juge par le coup de pinceau. La plupart nous montre des visages de femme, aux traits peu développés, souvent sans bouche, souvent avec des gros yeux noirs qui ressemblent à des trous… La femme manque-t-elle de voix? Pourquoi ces visages sont-ils anonymes?

Une citation en exergue à la première section: France Théoret nous dit “Pendant des années, je n’ai pu écrire autres choses que des fragments. Ces fragments sont des morceaux que je levais ou volais à la vie quotidienne.”

Et Célyne Fortin nous lance son premier poème:

toi la mère
ménagère du temps
de petits monstres
de petites ogresses
t’avalent le corps
t’éparpillent la tête
te morcellent le coeur

Est-ce qu’une maman ne peut se retrouver que dans des fragments de temps, résultat d’avoir fait ce choix qui demande tant d’abnégation, tant d’altruisme… En vient-on à oublier qui on est?

Autre citation en exergue à la deuxième section: France Théoret nous dit “Une mémoire si près d’être rouillée.”

On reprend la quête:

bruissement d’elle
soirée hantée
souvenirs marqués
de l’âme au flou
l’existence s’éloigne
les désirs se dispersent

Et à la troisième section: Anne-Marie Alonzo nous dit “Je fonctionne par fragments et j’écris de la même façon. Je ne vis pas des journées complètes. Je vis une vie par morceaux qui sont intenses et passionnés, alors je me dis aujourd’hui j’ai vécu un fragment demain je verrai et si les fragments vont ensemble tant mieux, sinon tant pis.”

Et le dialogue continue entre la poète et ses fragments, les siens et ceux des autres. On explore le désir de contact, de communication, d’expression, de communion, le désir tout court.

la page à reprendre
toute grise maintenant
d’une histoire avortée
le fruit m’a quittée
faudra-t-il oublier
ce jour et sa couleur de sang

Référence

Fortin, Célyne. Femme fragmentée. Éditions du Noroît, St-Lambert, QC, 1982.

Soirée littéraire à la Librairie Paulines, avec Célyne Fortin et Julie Stanton (publiées aux Éditions Les heures bleues)

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La salle multifonctionnelle au sous-sol de la Librairie Paulines sur la rue Masson s’impose comme lieu sans pareil pour ces soirées littéraires si agréables qui nous permettent de découvrir non seulement les écrits des auteurs qu’on y met en valeur, mais aussi leur personnalité et leur voix propre. Il n’y a rien de tel que d’avoir entendu un poète lire de ses propres œuvres pour les lire ensuite différemment, habité par la voix même de leur créateur.

Julie Stanton a présenté son recueil Mémorial pour Geneviève et autres tombeaux écrit suite au décès de sa fille Geneviève, morte de la sclérose en plaque à 50 ans et qu’elle a accompagné tout au long de la maladie. Ce recueil décrit un voyage au pays des morts pour retrouver Geneviève, son esprit, sa force, son sourire. Julie Stanton a finit sa lecture des extraits qu’elle avait choisies la voix brisée par l’émotion et les larmes aux yeux. Tous dans la salle ont été touché par sa démarche et par sa capacité à partager son désarroi de mère face à la perte de son enfant. Ce voyage au pays des morts lui permet de transformer cette perte en une nouvelle rencontre, en une nouvelle présence de sa fille auprès d’elle.

Célyne Fortin offre une démarche différente dans Wabakin ou Quatre fenêtres sur la neige. Les textes et les dessins de ce recueil ont été créés entre 2008 et 2013, le plus souvent lors de voyage hivernal de Célyne Fortin dans sa ville natale de La Sarre en Abitibi (Wabakin est un nom donné à cet endroit par les autochtones). L’auteur a lu la troisième partie du recueil ou « troisième fenêtre » qui nous parler de la neige lors d’un printemps tardif en 2011, de la beauté de la neige, mais aussi de l’exaspération de l’auteur et de sa sœur fasse à cet envahissant phénomène qui semble ne par avoir de fin. Elle y décrit non seulement l’apparence de cette neige qui s’éternise mais aussi le comportement des flocons, de façon très visuelle et fréquemment humoristique. Célyne Fortin montre son origine d’artiste visuelle dans sa capacité à décrire les choses. On a décrit sa poésie comme une poésie du regard.

Le livre de Julie Stanton est illustré de photos prises à l’Île aux Grues par le mari de l’auteur. Le livre en devient donc plus un texte, mais un bel objet où se conjuguent la parole et l’art visuel. Célyne Fortin construit ses livres autour d’éléments visuels et textuels également, et dépendamment des œuvres, le point de départ peut être un type d’élément ou l’autre. Wabakin contient un élément visuel ludique et peut faire office de « flip book » pour regarder successivement 13 dessins d’un banc de neige évolution constante faits par l’auteur au printemps 2010 dans son cahier d’écriture. Ses dessins accompagnent l’extrait mentionné plus haut, la troisième fenêtre.

L’évènement a été animé de main de maître par Louise Dupré.

http://www.heuresbleues.com

Célyne Fortin et Paul Bélanger à la Librairie Paulines le 31 janvier 2013

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Jeudi dernier, je suis allée à la conférence des Jeudis littéraires à la Libraire Paulines. Nous avons eu droit à un événement très intéressant, combinant la réflexion sur le travail de poète et le travail d’éditeur de poésie. Célyne Fortin, co-fondatrice des Éditions du Noroît avec son mari René Bonenfant, ainsi que Paul Bélanger, président des Éditions du Noroît depuis 1991, se sont entretenu avec Louise Dupré.

Cet entretien a été enregistré et sera diffusé sur Radio Spirale sur le web.

Ils ont discuté de l’histoire de la maison d’édition, de plaisir qu’ils ont à faire un travail d’accompagnement des créateurs et le souci de continuité qui guident les choix qu’ils font.

Ils ont aussi discuté de la relation entre leurs activités de poètes et d’éditeurs. Paul Bélanger a parlé de mettre l’écriture en veilleuse dans son rôle d’éditeur, de se mettre en retrait, d’être à l’écoute de l’auteur et apprécier une écriture autre que la sienne, avec une esthétique différente. Il parle du processus d’accompagnement d’un auteur comme d’un dialogue à long terme, qui permet « la mise en crise du texte », en posant des questions qui permettent à l’auteur de cheminer et à l’œuvre de mûrir.

Ils ont aussi parlé de leur propre œuvre. Célyne Fortin décrit comment elle écrit au « je », une écriture pulsionnelle, sans retenue et sans pudeur, où la pensée passe par le cœur. Paul Bélanger dit garder une plus grande distance entre l’auteur et l’énonciateur du texte et avoir une approche plus cérébrale. Il dit aussi que tout auteur est l’auteur d’un seul livre, qu’il y a une continuité des obsessions qui se métamorphosent dans le temps.

Ont suivis des lectures de parutions récentes, avec rappels, au grand plaisir du public.

 

Références :

Bélanger, Paul. Replis, chambre de l’arpenteur. Éditions du Noroît, Montréal, QC, 2012.

Fortin, Célyne. Femme infrangible, poème (1982-2008). Éditions du Noroît, Montréal, QC, 2012. (choix et préface de Jean Chapdelaine Gagnon)

 

Voir l’article suivant sur les vingt ans de Célyne Fortin et René Bonenfant au Noroît :

http://www.erudit.org/revue/urces/1991/v/n33/025674ar.pdf

Et le site de la maison :

http://www.lenoroit.com

Quote

Le soleil dessine des étoiles

dans l’obscurité de ton crâne

même étendue nue à sa discrétion

jamais le silence

ne s’abat sous la chevelure

à l’intérieur un tumulte

avec souffrance

se heurte aux tempes

des mots acerbes

creusent des puits sans fond

dans le tissu fragile des certitudes

Célyne Fortin

Femme Infrangible

Y a-t-il jamais des certitudes?