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Frédérick Lavoie, Avant l’après: Voyages à Cuba avec George Orwell

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Frédérick Lavoie, Avant l’après: Voyages à Cuba avec George Orwell

L’auteur est un journaliste indépendant qui investigue les grands changements sociaux qui l’intéressent. Après s’être intéressé au monde postsoviétique, le voici en train d’explorer l’apparente ouverture du régime autoritaire cubain à l’occasion d’une nouvelle publication autorisée de 1984 de George Orwell.

Au gré de trois voyages qu’il a fait en 2016 et 2017, Frédérick Lavoie explore les changements dans la société cubaine et le régime castriste en rencontrant diverses personnes de différents milieux. Son contact principal est le traducteur de la nouvelle version de 1984.

Il cherche également à comprendre comment ce livre avait auparavant été édité au début des années 60, par une maison d’édition dont il peine à retrouver des traces. Il reçoit peu d’information, que ce soit au sujet de l’ancienne ou de la nouvelle édition, des autorités cubaines, comme quoi l’ouverture est parfois relative.

Dans ce récit plutôt détaillé, il raconte aussi le quotidien des cubains qu’il rencontre, les difficultés de la vie quotidienne dans ce pays dont les ressources sont grandement limitées par l’embargo américain. L’ouverture manifestée par Barack Obama n’ayant pas perdurée avec le changement de président, un certain espoir s’est amenuisé.

L’auteur nous dit dans sa conclusion:

La perspective de changement apparue au cours des dernières années a eu pour effet de timidement retourner le regard du présent vers l’avenir. Il y a toutefois de bonnes chances pour que cet avenir déçoive les Cubains. Les défis seront grands et complexes. S’arrimer au XXIe siècle n’est pas une mince affaire. Régler ses comptes avec le  passé est nécessaire, mais le ressasser encore et encore ouvre la porte à toutes les vengeances, augmentant les risques de reproduire les comportements qu’on cherchait à punir et à proscrire.

Face à tous ces pièges, j’entrevois tout de même un espoir pour Cuba. Il réside dans le caractère tardif de la transition espérée. Contrairement aux Roumains, aux Polonais et aux Tchécoslovaques en 1989, ou aux Soviétiques en 1991, les Cubaines et les Cubains que j’ai rencontrés au fil de mes voyages sur l’île ne se faisait aucune illusion sur l’après. Ils ne l’imaginaient pas radieux, mais simplement moins pire que le présent et le passé.

Un autre livre sur lequel je suis tombée récemment Cuba en la encrucijada, un collectif d’articles d’auteurs cubains et d’observateurs extérieurs complète de façon intéressante ce portrait. J’en parlerai dans un autre billet.

Références:

Lavoie, Frédérick. Avant l’après: Voyages à Cuba avec George Orwell. Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 2018.

Guerriero, Leila, ed. Cuba en la encrucijada: 12 perspectivas sobre la continuidad y el cambio en la habana y en todo el pais. Penguin Random House, 2017.

Gabrielle Roy, Le temps qui m’a manqué

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Gabrielle Roy, Le temps qui m’a manqué

Ce petit volume autobiographique suit La détresse et l’enchantement et a été publié après la mort de l’auteur. Le texte a été établi à partir de 3 manuscrits du Fonds Gabrielle Roy aux archives nationales. Les 59 pages se séparent en 4 chapitres. Pour l’essentiel, l’auteur y raconte le décès de sa mère, son retour au Manitoba pour les funérailles et la douleur qui l’envahit à la perte de sa mère.

Dans le premier chapitre, elle raconte l’interminable voyage en train qui l’amène de Montréal au Manitoba avec de fréquents retours sur des faits et gestes passés. Le deuxième chapitre couvre son arrivée au Manitoba, ainsi que les funérailles et l’enterrement de sa mère. Le troisième raconte le reste de son séjour et le quatrième, sa fuite vers la Gaspésie pour y trouver un peu de repos et de sérénité.

Intéressant pour les fans de Gabrielle Roy qui veulent lire absolument tout ce qu’elle a écrit.

Référence:

Roy, Gabrielle. Le temps qui m’a manqué. Éditions du Boréal, Montréal, 2015.

Dominique Fortier, Du bon usage des étoiles

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Dominique Fortier, Du bon usage des étoiles

La disparition de l’Erebus et du Terror dans les froideurs de l’Arctique a exercé une grande fascination sur les fervents de l’exploration navale ainsi que sur les esprits sentimentaux qui se mettaient à la place de Lady Franklin qui avait perdu son explorateur de mari. Le roman de Dominique Fortier a été écrit avant la découverte des épaves des bateaux et on en savait moins sur l’issue de l’aventure que maintenant.

Néanmoins, ce roman historique d’une grande sensibilité nous présente une intéressante version des faits et gestes des membres de l’expédition, de l’enthousiasme du début (pas toujours partagé par le capitaine du Terror) au désespoir des mois où les navires restent pris dans la glace qui ne se dégage pas même durant les mois les plus chauds.

Le récit nous promène d’un continent à l’autre, avec la description de repas de fête ou de repas austères. Nous faisons aussi des retours dans le passé, ce qui explique mieux la vie intérieure de certains personnages dont l’extérieur bourru révèle peu de la richesse des pensées et des sentiments. Bien que nous connaissions le dénouement, je n’ai pu m’empêcher d’espérer une issue plus heureuse.

La couverture de cette édition dans la collection CODA des Éditions Also est très belle.

Référence:

Fortier, Dominique. Du bon usage des étoiles. Collection CODA. Éditions Alto, Québec, 2013 [2010].

Lectures de la semaine

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J’ai finalement terminé Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson où il raconte comment il a passé six mois dans un petit coin de forêt sur la rive du lac Baïkal au nord d’Irkoutsk. Il part avec une caisse de livres pour passer le temps et aider la réflexion. Il dit vouloir du temps pour l’introspection. Je trouve qu’il nous en fait très peu part, mais il y a par contre beaucoup d’instances de rencontres avec des Russes bien arrosés de vodka en plus des moments solitaires bien arrosés et accompagnés d’un cigare. Ce livre a gagné le Prix Médicis Essai 2011. Ah bon.

Je suis au quart du Journal D’Irlande de Benoîte Groult que j’ai beaucoup de plaisir à lire, comme tous ses livres d’ailleurs. Ce journal raconte les journées passées en vacances en Irlande de 1977 à 2003. Elle y parle beaucoup de pêche, de navigation, de la construction et entretien de sa maison, des visiteurs, des amis, des membres de sa famille et de ses amours. Des détails du quotidiens et des réflexions diverses…  Pourquoi ce journal est-il si plaisant quand j’ai très peu apprécié celui de Tesson?

Je suis aussi en train de lire le très mince Le temps qui m’a manqué de Gabrielle Roy, un fragment d’autobiographie publié en 1997, quatorze ans après son décès. Coïncidence:  j’avais ce livre dans une grosse pile sur le dessus de ma bibliothèque (un danger dont une partie m’est tombée sur la tête la semaine dernière) quand j’ai remarqué que Dominique Fortier mentionnait dans Les villes de papier avoir travaillé avec les manuscrits originaux alors qu’elle était étudiante. Ça m’a incité à extraire le livre de sa pile. Longues descriptions des évènements entourant le décès de sa mère. L’écriture est d’une grande beauté.

Quote

 

On raconte qu’elle a commencé par limiter ses visites au village, pour ensuite rester cantonnée au jardin, avant de ne plus guère quitter la maison, puis le deuxième étage, pour finalement élire domicile dans sa chambre, dont elle ne sortait qu’en cas de stricte nécessité. Mais en vérité, elle vivait depuis longtemps dans bien plus petit encore: un bout de papier grand comme la paume.

Cette maison-là, personne ne pourrait la lui enlever.

 

Dominique Fortier, Les villes de papier

Dominique Fortier, Les villes de papier

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Qui connait bien Emily Dickinson? Je connaissais le nom, une impression de légèreté… mais les vers? En avais-je jamais lu? Peut-être quelques-un, par ci par là…

Dominique Fortier nous fait découvrir le personnage, la fait sortir du brouillard des siècles, pour nous faire sentir la sensibilité de cette âme singulière. Avant d’en dire plus, quelques vers… With the help of John Bartlett’s book of Familiar Quotations.

If I can stop one heart from breaking,
I shall not live in vain;
If I can ease one life the aching,
Or cool one pain,
Or help one fainting robin
Unto his nest again
I shall not live in vain.

Inebriate of air am I,
And debauchee of dew,
Reeling, through endless summer days,
From inns of molten blue.

One need not be a chamber to be haunted;
One need not be a house;
The brain has corridors surpassing
Material place.

Des perceptions particulières de la vie, de la relation aux autres, à la nature, à la réalité… Tout chez Emily Dickinson tend vers l’excès, surtout l’excès de sensibilité. Elle préfère s’enfermer dans sa chambre pour écouter la voix dans sa tête plutôt que passer son temps avec les membres de sa famille. Plus tard dans la vie, elle sera pratiquement recluse. Dominique Fortier nous raconte sa vie, du point de vue de la poète, à demi-mots, avec une incomparable légèreté et délicatesse de langage.

En parallèle, la narratrice raconte son expérience de séjour au Massachusetts, son sentiment de déracinement, sa conscience de sa relation aux choses et aux endroits. Elle partage son émoi lorsqu’elle est en contact avec des manuscrits d’auteurs (en particulier Gabrielle Roy, dont elle est une experte) et se demande ce qu’elle ressentirait au contact des manuscrits d’Emily Dickinson conservés à Harvard.

Emily Dickinson a vécu à la même époque que Lewis Carroll, Louisa May Alcott, Mark Twain et Henry James. What a time.

Référence:

Fortier, Dominique. Les villes de papier. Éditions Alto, Montréal, 2018.

Other things:

https://en.wikipedia.org/wiki/Emily_Dickinson

http://editionsalto.com/auteurs/dominique-fortier/

https://yvonpare.blogspot.com/2018/08/dominique-fortier-et-sa-quete.html

 

Quand la concentration fait défaut

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Après un roman-bonbon d’Isabel Allende, j’ai un peu de difficulté à me replonger dans un autre livre. Ou je préfère aller dessiner.

J’ai lu la moitié de Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. Ce livre est au calendrier du club de lecture de la bibliothèque municipale au mois d’octobre. Donc, je me suis dis que ça serait le bon moment de le lire puisque j’aurais une occasion d’en discuter avec d’autres. Je n’ai jamais rien lu de Sylvain Tesson mais je l’ai vu participer à la Grande Librairie quelques fois et le personnage me fascine. Je dis bien “personnage” parce qu’il me semble bien peut naturel, qu’il cultive une image d’aventurier sans peur, avec un certain détachement. C’est sûr que la paralysie faciale résultant d’une chute d’escalade de façade de maison lui donne un air canaille sans pareille.

Donc, Tesson dit que ce livre est son journal d’ermitage lors d’un séjour en Sibérie de février à juillet 2010. Il y relate ses faits et gestes durant son séjour, les détails des difficultés de la vie dans une cabane isolée durant le dur hiver sibérien, et les visites parfois étranges que lui font des gens de passages. Je m’attendais à plus de profondeur dans le propos, mais c’est à peine mieux que mon propre journal intime… Allons voir si la deuxième moitié est plus intéressante.

J’ai commencé la lecture de Récolter la tempête de Benoît Côté. Jusqu’à maintenant, des histoires d’ado…

Et j’ai mis le bout du nez dans Les villes de papier de Dominique Fortier. J’avais beaucoup aimé son dernier livre, Au péril de la mer, et je crois que la même magie opère avec celui-là. La délicatesse du langage, la justesse des images… Elle raconte la vie d’Emily Dickinson. C’est absolument fascinant. Je crois que c’est le livre qui me fallait en ce moment.

Karoline Georges, De synthèse

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Ce roman est envoutant. Raconté à la première personne, il nous présente une femme qui a une relation trouble avec la réalité et avec le monde tridimensionnelle. Elle préfère les images à la réalité et passe plus de temps avec son avatar qu’avec d’autres êtres humains. Cet incapacité à distinguer entre le simulacre et le vrai, ou cet étrange préférence pour passer de l’autre côté de l’écran, en fait un ermite dont la vie est constamment vécue à travers des filtres technologiques.

Jusqu’au jour où sa mère tombe gravement malade et elle se résigne à sortir dehors pour se rendre à l’hôpital.

Ce soudain contact avec le réel est très inconfortable et elle doit trouver une façon de s’en distancier.

Il me suffit de percevoir les lieux que je traverse comme autant de scènes d’un vidéoclip, de me faire caméra, œil abstrait, pour n’apercevoir que la présence dynamique des gens, avec un décor de coureurs et de formes mouvantes; je dois me convaincre qu’ils ne sont pas vraiment là, qu’il n’y a que des images, dans un environnement virtuel. Je m’invente que je suis encore sur mon tapis de travail, dans mon atelier.

Que toute cette scène à l’hôpital est un simulacre en trop haute définition.

Elle décrit constamment sa perception de la réalité, les changements les plus minuscules dans ces perceptions, la construction et reconstruction constante du monde qui l’entoure. Pour cette lectrice dont la perception du monde en est une de solidité matérielle, cette façon de voir laisse une impression de flottement, d’irréalité. Peut-être est-ce pour cela que j’ai tant aimé le livre: c’est une libération du poids du monde physique.

 

Référence:

Georges, Karoline. De synthèse. Montréal, Alto, 2017.

Catherine Lalonde, La dévoration des fées

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Une petit livre fascinant, la vie rude d’une petite fille non désirée (on voulait un garçon), écrit dans un langage cru et charnel. De courts paragraphes créent des images si vivantes qui fascinent en même temps qu’elles répugnent. Des incantations pour faire disparaître la misère, la saleté, le malheur d’être née du mauvais sexe, et de grandir si pleine de vie dans un milieu si peu propice au bonheur.

Ça se lit tout seul et ça se relit en ouvrant le livre n’importe où. Un livre à laisser à son chevet pour faire des rêves fantastiques et enchevêtrés.

Référence:

Lalonde, Catherine. La dévoration des fées. Le Quartanier Éditeur, Montréal, 2017.

 

Andrée A. Michaud, Bondrée

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Ce livre pourrait être qualifié de roman policier. Deux filles meurent et la police locale tente de résoudre l’épais mystère qui entoure ces événements. Mais ce livre est tellement plus que ça…

C’est l’histoire d’un été qui n’est pas ce qu’il aurait dû être. C’est l’histoire d’un groupe de vacanciers dont les relations vont changer et s’intensifier d’une manière dont ils ne l’auraient jamais imaginée. C’est l’histoire d’enfants qui sont exposés bien trop tôt à la laideur du monde. C’est l’histoire de familles anéanties par la peine. Et c’est l’histoire de policiers déchirés par la douleur qui les hantent longtemps après que les dossiers soient partis aux archives. Personne ne reste indifférent et personne n’est épargné.

Bondrée, c’est n’importe quelle colonie de chalets d’été sur le bord d’un lac. Des Bondrées, on en a tous connu. Les reflets sur le lac, les odeurs de conifères au soleil, le chant des cigales, les rames des chaloupes qui grincent, les enfants qui crient, les portes qui claquent, les mères qui lancent des injonctions de toutes sortes à des marmailles désordonnées. Mais en général, nos lacs de vacances ne connaissent pas de drames et on y revient l’année suivante sans arrière-pensées.

Le rituel était toujours le même et il avait le goût d’une liberté n’appartenant qu’à l’insouciance. Pendant que mes parents déchargeaient la voiture, je descendais près du lac m’enivrer des odeurs de Bondrée, mélange de senteurs d’eau, de poisson, de conifères chauffés et de sable mouillé se combinant à celles légèrement moisies qui imprégnaient le chalet jusqu’en septembre malgré les fenêtres ouvertes, malgré l’arômes des steaks et des poudings aux fruits, l’âcre parfum des fleurs sauvages ramassées par ma mère. Ces odeurs qui couraient de juin jusqu’aux nuits fraîches n’ont d’égal que l’humidité de l’atmosphère constituant ma mémoire de l’enfance, saturée de vert et de bleu, de gris couvert d’écume. Elles contiennent au creux de leur spectre ensoleillé la moiteur des étés où j’ai grandi.

Bondrée, c’est la version francisée du mot anglais “boundary”, frontière, limite, périmètre. Arriver à Bondrée est franchir une limite, une frontière entre en la vie quotidienne à la ville, pour l’aventure et la liberté des chaudes journées estivales. Bondrée est une contrée hors de la réalité, où les estivants se rejoignent pour laisser couler le temps, ou les enfants laissaient aller leur créativité dans leurs jeux et faisaient le plein d’imaginaire.

Une limite qui semble s’amenuiser à Bondré est la différence linguistique. Les relations entre les Québécois francophones et les Américains anglophones (même si certains américains ont des noms d’origine française) semblent oscillées entre l’harmonie et l’indifférence, mais sans ondes de conflit. Si cette différence semble affecter un peu les adultes (qui auront besoin d’interprètes lorsque la communication entre eux deviendra nécessaire) mais beaucoup moins les enfants qui vont interagir plus spontanément en dépit de la différence de langue. Et les enfants semblent parfois en savoir plus sur leur communauté que les adultes.

Quoiqu’il en soit, la disparition d’une première adolescente sème l’émoi dans la petite communauté. Des lambeaux de pensées désordonnées et troublées semblent émaner de la tête du tueur. On se demande s’il fait partie de la communauté ou s’il émerge des bois qui l’entourent. Le suspense dure longtemps. Le coupable n’est pas celui qu’on pense. La motivation est surprenante.

 

Référence:

Michaud, Andrée A. Bondrée, Éditions Québec Amérique, Montréal, 2015.

Autres choses:

Boundary: The Last Summer by Andrée A. Michaud

https://www.leslibraires.ca/livres/bondree-andree-a-michaud-9782764429884.html