Comme c’est mon dixième livre de Dany Laferrière, c’est comme des retrouvailles avec un ami de longue date, avec une voix familière, dans un univers connu. À cause de cette familiarité, j’ai cru durant une partie de la lecture de ne voir rien de neuf dans ce récit. Pourtant, le thème diffère à certains égards des livres que j’ai lus auparavant.
Le livre auquel celui-ci s’apparente le plus est L’odeur du café, où le narrateur (Vieux Os) nous raconte des moments de son enfance passée avec sa grand-mère, Da. Dans Pays sans chapeau, Vieux retourne en Haïti et séjourne chez sa mère qui vit avec une de ses sœurs. Du fait de sa longue absence – 20 ans depuis son départ précipité – il a presque oublié certaines coutumes et l’importance des morts et autres personnages fabuleux dans la vie de tous les jours.
On me sert une tasse de café bien chaud. Je m’apprête à prendre la première gorgée.
– As-tu oublié l’usage, Vieux Os?
Il faut en donner aux morts d’abord. Ici, on sert les morts avant les vivants. Ce sont nos aînés. N’importe quel mort devient subitement l’aîné de tous ceux qui respirent encore. Le mort change immédiatement de mode de temps. Il quitte le présent pour rejoindre à la fois le passé et le futur. Où vis-tu maintenant? Dans l’éternité. Joli coin, hein! Je jette la moitié de la tasse de café par terre en nommant à haute voix mes morts.
…
Mes morts. Tous ceux qui m’ont accompagné durant ce long voyage. Ils sont là, maintenant, à côté de moi, tout près de cette table bancale qui me sert de bureau, à l’ombre du vieux manguier perclus de maladies qui me protège du redoutable soleil de midi. Ils sont là, je le sais, ils sont tous là à me regarder travailler à ce livre. Je sais qu’ils m’observent. Je le sens. Leurs visages me frôlent la nuque. Ils se penchent avec curiosité par-dessus mon épaule. Ils se demandent, légèrement inquiets, comment je vais les présenter au monde, ce que je dirai d’eux, qui sont nés et morts dans la même ville, Petit-Goâve, qui n’ont connu que ces montagnes chauves et ces anophèles gorgés de malaria. Je suis là, devant cette table bancale, sous ce manguier, à tenter de parler une fois de plus de mon rapport avec ce terrible pays, de ce qu’il est devenu, de ce que je suis devenu, de ce que nous sommes tous devenus, de ce mouvement incessant qui peut bien être trompeur et donner l’illusion d’une inquiétante immobilité.
Alors Vieux Os se balance du pays réel au pays rêvé, et tente de renouer avec ce qu’on dit du pays des morts, qu’on appelle aussi le “pays sans chapeau” parce qu’un mort n’est jamais enterré avec son chapeau.
Dans ses passages dans le monde des morts, il rencontre les dieux de la religion vaudou qui l’accompagnent dans son voyage de découverte qu’il nous relate avec toute la fraîcheur et la candeur qu’on connaît des livres de Dany Laferrière. Tout compte fait, c’est un voyage très intéressant pour moi aussi.
Référence:
Laferrière, Dany. Pays sans chapeau. 4e édition. “Boréal Compact”. Éditions du Boréal, Montréal, 2006 [1996].